Léopards des neiges braconnés pour leurs os

Posted on May, 22 2001

Jusqu'ici, le léopard des neiges était chassé uniquement pour sa fourrure gris tendre. Mais voici qu'aujourd'hui, dans les montagnes d'Asie centrale, l'espèce a un nouvel ennemi: les marchands d'os.

Gland, Suisse: Jusqu'à maintenant, l�once, appelée aussi léopard (ou panthère) des neiges, était chassée uniquement pour sa fourrure gris tendre parsemée de taches foncées en forme d�anneaux. Une fourrure qu�il était très à la mode de porter dans les années 1920. A cette époque, un millier de peaux étaient exportées d�Asie et de Russie chaque année. Bien qu�interdit aujourd�hui, ce commerce continue dans des pays qui n�ont pas prospéré économiquement après l�effondrement de l�Union soviétique. Au Kazakhstan, une fourrure de léopard des neiges peut atteindre un prix 60 fois plus élevé que le salaire mensuel minimum. Et dans le Kirghizistan voisin, la population d�onces à l�état sauvage pourrait bien avoir baissé de moitié ces sept dernières années.

A présent, une autre menace se dessine: à mesure que les os de tigre se font rares, les marchés de la médecine asiatique se tournent vers des produits de substitution tels que, précisément, les squelettes de léopard des neiges, une espèce déjà en danger.

"Les régions qui nous causent le plus de soucis sont les républiques d�Asie centrale, qui connaissent une situation économique telle que les gens sont prêts à tous les expédients pour s�en sortir", signale Tom McCarthy, directeur de la conservation au Fonds international pour le léopard des neiges, un organisme qui collabore avec le WWF pour tenter de sauver les quelque 7'000 onces subsistant dans la nature. "Les effectifs de ce félin ont dégringolé et le braconnage est très important."

Les besoins économiques des pays d'Asie centrale, conjugués à la demande en os de grands félins de la part de la médecine asiatique, créent les conditions d�un nouveau boom dans le commerce des squelettes. "A mesure que la disponibilité des os de tigre diminue, la demande se déplace vers d�autres espèces", explique Tom McCarthy. "La panthère des neiges est l�une des espèces sur lesquelles se reportent les convoitises. Nous venons d�apprendre que le squelette entier d'un de ces animaux peut se vendre 10�000 dollars US."

La demande en os de léopard des neiges pourrait intensifier le braconnage dans les douze pays où l�espèce est présente: Chine, Bhoutan, Népal, Inde, Pakistan, Afghanistan, Ouzbékistan, Tadjikistan, Kazakhstan, Kirghizistan, Russie et Mongolie.

"Dans bon nombre de ces pays, les gens ne sont pas encore au courant de la valeur de ces os. Voici cinq ou six ans, dans des pays comme la Mongolie, le principal partenaire commercial était l�ex-Union soviétique. Mais le commerce avec la Chine se développe et, une fois que les Mongoles sauront à quel prix un squelette de léopard des neiges peut se vendre, le braconnage pourrait s�intensifier dans ce pays aussi."

Le léopard des neiges figure à l�annexe I de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d�extinction (CITES), qui interdit tout commerce international des espèces en question. Mais le Bhoutan, le Tadjikistan et le Kirghizistan n�ont pas encore ratifié la CITES. Pire, ces pays s�emploient même à supprimer les obstacles à un accroissement du commerce avec l�est asiatique.

Satisfaire les besoins économiques des populations partageant l�habitat du léopard des neiges est la clé des efforts visant à limiter le braconnage. L�expérience de la Mongolie l�a montré. "Ici, le bouquetin, principale proie du léopard des neiges, est souvent évincé de son habitat par les troupeaux d�animaux domestiques", explique Bazarsad Chimed-Ochir, responsable du Bureau du WWF en Mongolie. "Depuis une dizaine d�années, les cheptels domestiques augmentent rapidement. Avant 1990, il y avait dans ce pays entre 20 et 25 millions de têtes; nous en sommes aujourd�hui à quelque 33 millions de têtes. La compétition est vive entre le bouquetin et les animaux domestiques, et ceci est une des causes premières de la raréfaction des proies." Plus les effectifs de bouquetins régressent, plus le léopard des neiges est contraint de se rabattre sur les animaux domestiques, qui sont le "compte en banque" des éleveurs. Dans ces conditions, le prix de ces proies est élevé pour l�once. Il n�est pas rare en effet que des éleveurs en colère abattent des félins, par mesure de rétorsion pour les bêtes qui leur ont été "volées".

"Dans le but de désamorcer ce conflit, nous avons lancé des programmes d�incitation économique en faveur des éleveurs, poursuit Bazarsad Chimed-Ochir. Un de ces programmes, baptisé Irbis Enterprises, consiste à vendre des produits en laine et en cuir issus de l�élevage; en contrepartie, les éleveurs s�engagent à ne braconner ni les onces, ni leurs proies."

Fort heureusement pour le félin, il existe chez les éleveurs de Mongolie une croyance selon laquelle tuer un léopard des neiges porte malheur, de sorte qu�ils ne le font qu�en toute dernière extrémité. Mais les opportunistes qui cherchent à faire de l�argent en vendant des squelettes sur le marché noir n�ont, hélas, pas ce genre de craintes.

Pour de plus amples informations sur le léopard des neiges, on pourra consulter le numéro 5 du magazine Living Planet (sortie en septembre). E-mail: aride@wwfint.org

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* Anouk Ride coordonne la rédaction du magazine Living Planet, au WWF International, à Gland, Suisse.

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