Le déclin du chien de prairie mexicain

Posted on February, 15 2001

Les vallées en apparence stériles du désert de Chihuahua, au Mexique, abritent dimportantes communautés souterraines de chiens de prairie mexicains. Mais ces vastes colonies disparaissent à un rythme accéléré. Le déclin spectaculaire des populations de chiens de prairie dans la région a incité dernièrement le Ministère mexicain des ressources naturelles à inscrire cette espèce sur la Liste rouge nationale des espèces en danger et à mettre sur pied une commission chargée de veiller spécialement à sa protection.
Monterrey, Mexique:�En labourant le sol, les énormes exploitations agricoles qui fleurissent par ici enterrent littéralement les colonies de chiens de prairie�, déplore Felipe Chavez, le coordinateur des activités menées dans cette écorégion par le WWF. �L�espèce pourrait s�éteindre à cause de pratiques agricoles intensives privilégiant le rendement à court terme, qui épuiseront le sol en trois ou quatre ans.�

Le désert de Chihuahua, un endroit peu connu malgré la diversité et l�abondance de sa faune et de sa flore, n�attire que depuis peu de temps l�attention de la population locale et des défenseurs de l�environnement. Il s�étend sur un territoire couvrant le sud-est de l�Arizona, le Nouveau-Mexique, l�ouest du Texas et la partie septentrionale du Mexique. D�une superficie d�environ 500�000 km2, ce désert occupe près d�un quart du territoire mexicain.

�Le WWF a lancé son programme de conservation de la nature dans le désert de Chihuahua, il y a moins de deux ans. Il nous fallait tout d�abord sensibiliser la population et les autorités à l�importance de ce milieu�, explique Felipe.

�Il existe dans le désert de Chihuahua davantage d�espèces d�oiseaux que dans les Everglades de Floride et un plus grand nombre de mammifères que dans le parc de Yellowstone, ajoute-t-il. Même si la vie n�y est pas aussi apparente que dans une forêt pluviale, par exemple, le désert de Chihuahua peut rivaliser avec les forêts amazoniennes sur le plan de la biodiversité.�

Ce désert abrite 60 pour cent de toutes les espèces de cactées qui existent sur la planète, dont une bonne partie ne se rencontrent qu�ici. Autre exemple: on trouve ici la deuxième plus importante concentration d�espèces de lézards au monde.

Mais ce désert est davantage connu pour héberger un locataire particulier. Il s�agit de l�un des plus petits mammifères vivant ici, et sans doute le plus amusant: le chien de prairie, appelé ainsi en raison de son cri, qui ressemble à un aboiement. En réalité, le chien de prairie est un gros écureuil vivant au sol, que l�on ne trouve nulle part ailleurs sur la planète. Les sortes de glapissements qu�il pousse revêtent différentes fonctions; ils servent notamment de signal d�alerte.

Mais pourquoi tant d�attention pour cet écureuil? �Au-delà de son aspect adorable, qui le rendrait digne de figurer dans un dessin animé, le chien de prairie est ce qu�on appelle une espèce indicatrice, car partout où l�on rencontre des chiens de prairie, il y a aussi des renards, des oiseaux de proie et d�autres prédateurs�, explique Felipe Chavez. �Certaines espèces de chouettes occupent les galeries abandonnées creusées par les chiens de prairie, et plusieurs espèces de moineaux montrent une préférence pour les grands espaces ouverts habités par les chiens de prairie.�

�Nous risquons de voir disparaître le chien de prairie, mais aussi une foule d�espèces qui lui sont associées. Nous nous efforçons donc de travailler main dans la main avec les communautés locales qui détiennent les terres où vivent les chiens de prairie, et nous essayons de leur montrer que la conversion à l�agriculture n�est peut-être pas la meilleure stratégie.�

Mais dans un pays où le revenu annuel moyen ne dépasse pas US$600, ce n�est pas une sinécure que de faire passer ce message. Les agriculteurs ne savent quasiment rien de la conservation du milieu naturel, et il n�est pas facile d�expliquer le lien entre la sauvegarde du chien de prairie et la viabilité économique.

�Là est le défi, estime Felipe. En tant que défenseurs de la nature, nous avons tendance à raisonner purement en termes biologiques. Préserver la nature, ou préserver une espèce, des animaux. Or, travailler dans le désert de Chihuahua, c�est agir aussi et avant tout sur un environnement social. Aujourd�hui, la conservation ne dépend pas de la connaissance que l�on a des m�urs d�un oiseau. Elle suppose la compréhension de l�économie, de la paysannerie et de la manière dont la culture modifie le mode de pensée et les méthodes de travail des agriculteurs. Le défi n�est plus biologique. Il est social, politique et économique. Nous devons comprendre toutes ces composantes pour pouvoir définir et mener à bien notre programme de conservation ici.�

Voici plus d�une année, une campagne de sensibilisation a été lancée pour informer le public sur le rôle du chien de prairie dans l�écosystème du désert et pour faire apprécier cet animal. La tâche n�est pas facile.

�La population locale a des opinions diverses au sujet du chien de prairie," déclare Felipe Chavez. "Certaines personnes ne l�aiment pas, l�accusant de se nourrir d�une partie de leurs récoltes. D�autres le haﳳent, pensant qu�il prive d�herbage le bétail. Et il y a des gens qui s�en moquent.�

Dans le cadre de l�un des programmes de conservation les plus progressistes du Mexique, Felipe Chavez a dirigé deux études destinées à évaluer la population de chiens de prairie du désert de Chihuahua.

Ces deux études, terminées en novembre 1999, ont révélé que l�aire de distribution du chien de prairie s�est rétrécie de 85 pour cent en une vingtaine d�années et que, depuis cinq ans, son territoire a diminué de 55 pour cent. "C�est ce recul alarmant que nous a incité à passer à l�action pour sauvegarder l�espèce,� ajoute-t-il.

Quelle est l�alternative à l�agriculture de masse? Felipe Chavez et le WWF encouragent une gestion durable du territoire occupé par les chiens de prairie. Ces animaux maintiennent et favorisent la croissance des herbages, ce qui est propice à des types d�activité s�inscrivant dans le long terme, notamment l�élevage durable du bétail et, peut-être, l�écotourisme.

�Mais la plupart des gens considèrent toujours le désert comme un moyen d�obtenir des ressources, que ce soit de l�eau, un terrain à cultiver ou un produit tel qu�un végétal ou un animal. Dans le désert de Chihuahua, les populations autochtones ont extrait et utilisé des ressources naturelles durant des milliers d�années.�

Selon Felipe, la bonne nouvelle est que la perception des choses se modifie.

�Bien des gens qui vivent de la terre, qu�ils soient éleveurs ou cultivateurs, découvrent que la surexploitation d�une ressource n�est pas une bonne chose. Beaucoup de zones sont déjà dévastées. Il y a suffisamment d�indices, par ici, pour faire comprendre aux gens que s�ils ne gèrent pas une ressource correctement, ils vont la détruire. Et, dans la durée, ce ne sera bénéfique pour personne.�

�En même temps, la population locale voit bien qu�en adoptant un certain type de gestion, on peut changer le scénario, se réjouit Felipe Chavez. �Notre objectif, à présent, est d�impliquer les gens en espérant que, par l�exemple, ils se rendront compte qu�il vaut mieux gérer les ressources de manière appropriée plutôt que de les surexploiter et de les détruire, en ne laissant rien à leurs enfants.�

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* Elizabeth Foley est rédactrice indépendante, basée à Londres, Royaume-Uni