Les éléphants d'Amazonie
Posted on August, 01 2000
Des éléphants, des lions et des girafes ont été vus dans les jungles d'Amérique latine! Absurde? Pas pour de nombreux enfants de Manaus, au Brésil, qui pensent apercevoir ces animaux dans leur environnement de tous les jours.
Manaus, Brésil: Manaus, la plus grande ville - et capitale - de l'Etat brésilien d'Amazonas, est située au coeur de la plus vaste forêt tropicale du globe. Or, même si la mythique Amazonie abrite la moitié des espèces animales et végétales de la planète, les enfants de Manaus semblent mal connaître la faune locale.Erica Yoshida, ingénieur forestier de l'Institut national de recherche sur l'Amazonie (INPA), a interviewé des enseignants et des élèves du cinquième degré afin de se faire une idée sur leurs connaissances de leur environnement immédiat. Les résultats sont surprenants.
Le plus frappant est de découvrir quels sont les animaux cités par les élèves comme vivant dans la forêt tropicale. Appelés à nommer un animal de l'Amazonie, 32 pour cent d'entre eux ont mentionné en premier lieu l'hippopotame et le rhinocéros, puis le lion et le tigre, et ensuite seulement les aras et les toucans, symboles planétaires de l'Amazonie. Même l'éléphant, la girafe et le buffle sont davantage connus que des espèces locales telles le dauphin rose, le jaguar ou le pécari. Questionnés sur les animaux leur inspirant le plus de craintes, ils ont désigné les lions, les tigres, les éléphants, les buffles, les hippopotames, les loups et les ours.
Reste à savoir pourquoi les enfants d'Amérique latine font-ils davantage référence à la faune africaine ou asiatique qu'à celle de leur région.
L'une des raisons les plus évidentes tient peut-être au fait que les animaux africains sont bien plus imposants par la taille, plus facile à voir et à suivre, plus nombreux et surtout réunis en plus grands groupes que ceux d'Amazonie.
Pourtant, le travail de recherche de Erica Yoshiba a aussi montré que 76 pour cent des enfants interviewés n'étaient jamais allés en forêt tropicale, et que l'enseignement des connaissances locales avait nettement besoin d'être amélioré.
Ces lacunes à propos de la vie sauvage indigène ne sont pas propres à l'Amazonie. Les lions, les éléphants, les ours et les tigres sont aussi les animaux les plus connus des enfants interrogés à Rio de Janeiro, dans le cadre d'une autre étude.
A l'évidence, le problème est également historique. A la fin du 18ème siècle, expéditions scientifiques et recherche de nouveaux marchés ont amené les Européens à explorer le coeur de l'Afrique. La curiosité suscitée par de vieux mystères - celui des sources du Nil par exemple - a aiguisé le goût de l'aventure de certains. Tout au long du 19ème siècle, les odyssées africaines d'explorateurs comme James Bruce, le Dr Livingston et Richard Burton tinrent les foules en haleine. Nombre de livres, de films et de débats ont depuis porté sur le continent africain et ses splendeurs. Des classiques comme Tarzan, Laurence d'Arabie ou Out of Africa ont été tournés dans des régions d'Afrique où il était facile de voir des chimpanzés, des éléphants ou des chameaux.
L'utilisation courante des images de faune sauvage africaine et asiatique par les grandes compagnies occidentales a également contribué à faire connaître ces animaux au reste du monde. Le plus récent parc à thème de Disney, Animal Kingdom, possède un pavillon africain et un autre sur l'Asie, mais l'Amérique latine n'est pas représentée. Hollywood a le lion de Metro-Goldwyn-Mayer, Exxon et Kellogg jouent la carte du tigre et Camel celle du chameau.
L'Amérique latine est en vedette chez Jaguar et sur Internet grâce à Amazon.com. Or, les Jaguar sont des voitures destinées à une élite fortunée, tandis que Amazon.com ne vend en tout et pour tout que quatre livres sur la faune sauvage sud-américaine et deux cents sur celle d'Afrique.
Il y a quelque chose d'injuste dans ces différences. L'Amérique latine a plus d'espèces de primates, d'oiseaux, de reptiles et d'amphibiens que toute autre région du globe. A lui seul, le Brésil compte 77 espèces de primates, soit plus que l'ensemble de l'Afrique sans Madagascar. En revanche, le continent sud-américain n'abrite guère de grands mammifères et aucune concentration importante d'animaux sauvages. Ses animaux se fondent plutôt dans les denses et sombres forêts où l'on peut passer des semaines à chercher en vain un jaguar.
Depuis plus de vingt ans, le WWF aide à corriger la situation. Il soutient notamment activement un projet en faveur du singe-lion doré dans l'Etat de Rio de Janeiro (Brésil). Plusieurs chaînes de télévision nationales ont attiré l'attention du public sur le sort incertain de cet animal. Comme le relève Lou Ann Dietz, chargée de programme au WWF-Etats-Unis, "pour respecter ou apprécier à sa juste valeur quelque chose, il faut la connaître."
Dans de nombreux magasins du pays, le WWF-Brésil a également fait la promotion de peluches, de jeux et de puzzles représentant la faune nationale. C'est la première fois que cette dernière a été mise en évidence de cette manière.
D'autres activités encore ont été développées, parmi lesquelles une série de stages de formation pour des responsables de l'éducation à l'environnement travaillant dans des villes et des parcs répartis sur l'intégralité du territoire brésilien. "Ces efforts permettent aux personnes intéressées de mieux connaître leur environnement et de s'engager pour sa conservation," rappelle Jeff England, spécialiste de l'éducation environnementale au WWF-Etats-Unis.
Il est temps que, en Amérique latine, les éléphants redeviennent des jaguars!
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* Christine Archer est rédactrice, spécialiste des questions relatives à l'éducation environnementale. Elle est établie en Floride.
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