CHASSE SCIENTIFIQUE A LA BALEINE DU JAPON : SCIENCE IRRESPONSABLE, CHASSE IRRESPONSABLE

Posted on junio, 01 2005

CHASSE SCIENTIFIQUE A LA BALEINE DU JAPON : SCIENCE IRRESPONSABLE, CHASSE IRRESPONSABLE
 
Bien qu’il soit vital de fonder la gestion des populations de grands cétacés sur une recherche scientifique sérieuse, cela n’a fréquemment pas été le cas. Au XXe siècle, à l’apogée de la chasse commerciale à la baleine, la plupart, sinon tous les pays baleiniers ignoraient souvent des informations scientifiques crédibles (ou se servaient d’une recherche douteuse) pour la détermination des quotas de baleines à tuer. Cette approche irresponsable a conduit à des prises excessives et à l’effondrement de nombreux stocks baleiniers.
 
Pour le gouvernement japonais actuel, les choses n’ont guère changé. Le Japon contourne le moratoire imposé sur la chasse à la baleine en massacrant des baleines dans l’Antarctique et le Pacifique Nord, soutenant que cela est impératif pour répondre à des questions de gestion critiques. Et pourtant, les études scientifiques menées à bien par l’Institut de Recherche sur les Cétacés japonais, établi en 1987 lorsque le moratoire sur la chasse commerciale à la baleine imposé par la CBI menaçait de mettre fin au programme de chasse du Japon dans l’Antarctique, sont de plus en plus reconnues comme inefficaces, trompeuses ou simplement douteuses. Dans de nombreux cas, le Japon choisit simplement d’ignorer des données scientifiques crédibles allant à l’encontre de sa politique de chasse à la baleine, ou poursuit ses activités en l’absence d’informations de gestion critiques. En résumé, le Japon continue de faire appel aux techniques scientifiques de 1946, année de la rédaction de la Convention sur la chasse à la baleine, tandis que le reste du monde scientifique vit au XXIe siècle.
 
RORQUAL BOREAL : CHASSER UNE ESPECE MENACEE D’EXTINCTION

 
En dépit des protestations internationales contre son programme de chasse scientifique au petit rorqual dans le Pacifique Nord (le programme JARPN), le Japon a annoncé en 2002 une importante expansion de son programme au rorqual boréal (balaenoptera borealis). Le rorqual boréal est une espèce en danger sur la liste rouge préparée par l’IUCN ( IUCN 2003). L’IUCN déclare que l’espèce "court un risque très élevé d’extinction dans la nature dans un avenir proche" et fonde sa classification sur des observations directes, des estimations de population et les niveaux réels et potentiels d’exploitation.
 
Cette espèce a été intensivement exploitée dans le Pacifique Nord par le Japon et l’ancienne Union Soviétique. Aujourd’hui, à en croire les récentes évaluations de l’Institut de Recherche sur les Cétacés japonais, la population de rorquals boréaux dans le Pacifique Nord est actuellement suffisante importante pour menacer les stocks de poisson. La dernière estimation de population crédible (Tillman 1977) faisait cependant état d’un énorme déclin et a conduit le Comité Scientifique de la CBI à recommander la protection de cette espèce en 1976. A moins que les résultats de la recherche japonaise ne soient examinés et acceptés au niveau international par le Comité Scientifique de la CBI, l’estimation de la population publiée par la CBI en 1977 et le statut d’espèce en danger du rorqual boréal devraient rester en vigueur. En dépit de cela, les Japonais ont annoncé qu’ils allaient continuer à tuer des rorquals boréaux afin d’étudier leur régime alimentaire. Nous savons pourtant déjà que cette espèce se nourrit peu de poisson, mais principalement des copépodes, un minuscule zooplancton. En 1977, les Japonais eux-mêmes ont d’ailleurs publié un rapport sur le contenu de l’estomac de 21.713 rorquals boréaux du Pacifique Nord indiquant que seulement 3% des animaux avaient mangé du poisson (Nemoto et Kawamura. 1977). 
 
Bien que le Japon ait raison de suggérer qu’il faut continuer de suivre l’évolution de toutes les populations de grands cétacés, le massacre de rorquals boréaux supplémentaires ne nous apprendra rien de nouveau. Il ne fera que mettre une nouvelle espèce de baleine dans les assiettes japonaises.
 
LES GRANDS CETACES AU BANC DES ACCUSES

 
En plus de chasser le rorqual boréal, le Japon prétend avoir mis en place son programme de chasse scientifique au petit rorqual, au cachalot et au rorqual de Bryde dans le Pacifique Nord afin de mieux comprendre le rôle de ces espèces dans l’écosystème. Cette recherche, qui n’a aucun rapport avec la gestion des stocks baleiniers par la CBI, cherche à confirmer la théorie, par le Japon et d’autres pays baleiniers, que les baleines déciment les stocks de poisson destinés à l’homme.
 
La qualité de la recherche scientifique menée par le JARPN est incroyablement médiocre. A l’occasion de la réunion du Comité Scientifique de la CBI en 2001, 32 savants représentant de nombreux pays ont soumis un document accusant le programme japonais de manquer de rigueur scientifique et de ne pas respecter les normes académiques appliquées dans la recherche scientifique à travers le monde (Clapham et al. 2002, 2003).
 
Un bon exemple de cela est le traitement du cachalot dans le programme JARPN. Le gouvernement japonais prétend qu’il est nécessaire de tuer dix cachalots par an afin d’étudier leur régime alimentaire. Et pourtant, l’alimentation de cette espèce est bien connue; pas surprenant, si l’on considère que plus de 500.000 cachalots ont été tués et examinés rien qu’au XXe siècle. De surcroît, l’importance écologique de sa consommation de calmars ne peut être correctement déterminée en l’absence d’une évaluation de l’abondance des calmars dans l’océan, une question à laquelle les biologistes marins du monde entier n’ont toujours pas répondu.
 
A la lumière des critiques scientifiques, il est flagrant que la recherche japonaise n’est qu’un prétexte pour poursuivre la chasse à la baleine dans l’intention délibérée de réduire les populations de grands cétacés. Ces arguments ignorent le fait que la plupart des grands cétacés se nourrissent de proies qui ne sont pas exploitées par l’homme (par ex. krill, copépodes et calmars de profondeur), et que les savants du monde entier s’entendent à dire que c’est la surexploitation par l’homme qui est responsable de l’effondrement des principaux stocks de poisson. L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture estime que 47 à 50% des stocks de poisson sont exploités au maximum par l’homme; que 15 à 18% sont surexploités; et que 9 à 10% sont épuisés ou se remettent de l’épuisement (FAO 2000). Les flottes de pêche continuent de grandir en taille et en capacité, alors que les savants et les écologistes marins du monde entier préconisent une réduction de la capacité. De surcroît, la plupart des écologistes s’entendent à dire que la disparition des prédateurs de haut niveau tels que les grands cétacés va en fait avoir un effet à long terme nuisible sur l’abondance du poisson commercial en raison de la perturbation des relations complexes existant dans la toile alimentaire marine (Yodzis 2001).
 
Et pourtant, l’Institut de Recherche sur les Cétacés japonais continue d’affirmer que les baleines doivent être "gérées" dans l’écosystème et qu’il est nécessaire de réduire leurs populations afin de sauvegarder nos stocks de poisson. 
  
PETIT RORQUAL DE L’ANTARCTIQUE : ETAT DES POPULATIONS

 
Depuis de nombreuses années, le gouvernement japonais affirme qu’il y a 760.000 petits rorquals en Antarctique. Mais en 2000 et 2001, le Comité Scientifique de la CBI n’est pas parvenu à s’entendre sur un chiffre, déclarant uniquement que l’ancien chiffre de 760.000 n’était plus valable et que les nouvelles estimations de population pouvaient avoir baissé à 300.000 du fait que les données les plus récentes faisaient état d’un déclin certain. Le Comité a reconnu que les variations étaient peut-être dues à un changement dans la manière dont les données sont collectées, au fait que les baleines avaient migré en dehors des zones étudiées, ou à un véritable déclin de la population. Les savants japonais affirment que les variations sont dues à la modification des méthodes de calcul, mais les savants non-japonais ayant une expérience de l’Antarctique sont d’avis que le changement de méthode ne constitue probablement pas une explication et qu’il y a eu un véritable déclin dans les peuplements de baleines, peut-être en raison de la fonte des glaces provoquée par le réchauffement de la planète. Les résultats de la recherche japonaise n’ont pu être examinés en détail, car les Japonais ont refusé de communiquer leurs données au Comité Scientifique.
 
ALTERNATIVES A LA CHASSE SCIENTIFIQUE

 
Bien que la Convention internationale pour la réglementation de la chasse à la baleine contienne une disposition autorisant les gouvernements à se délivrer des permis de recherche scientifique, cette dernière a été rédigée voilà plus de 50 ans, à une époque où aucune alternative pratique n’était disponible. A l’époque, le massacre des baleines constituait malheureusement le seul moyen d’obtenir les informations biologiques les plus élémentaires, qui permettaient ensuite de fixer les quotas de chasse. Depuis 50 ans, des techniques bien plus efficaces et bien plus précises que l’abattage des baleines ont été mises au point pour l’obtention des données nécessaires à la gestion.
 
Par exemple, l’analyse génétique de petits échantillons de peau est désormais couramment utilisée pour comprendre la répartition des populations de nombreux mammifères, y compris les baleines. Les récents progrès techniques dans ce domaine ont révolutionné la génétique et permis aux savants de mener des analyses détaillées qui étaient autrefois délicates et coûteuses, voire même impossibles. Les analyses génétiques permettent d’examiner divers grands cétacés dans diverses régions géographiques, et d’évaluer ainsi les limites des stocks baleiniers. Il s’agit-là d’un aspect critique de la gestion des quotas, du fait que, par le passé, les pays baleiniers ont fréquemment fixé des quotas élevés sur de larges territoires en supposant, à tort, que toutes les baleines d’un territoire appartenaient à la même population. Les échantillons génétiques sont généralement prélevés sur une baleine vivante à l’aide d’une biopsie, sans tuer ni blesser l’animal. Les flèches de biopsie sont également bien plus efficaces et permettent aux savants d’obtenir de nombreuses informations à partir d’un échantillon plus représentatif de la population baleinière.
 
Le Japon affirme également qu’il lui faut tuer des baleines afin de déterminer ce qu’elles mangent, en étudiant le contenu de l’estomac des baleines mortes. Mais cela ne fournit généralement rien de plus qu’une vue figée des dernières proies consommées et n’est pas nécessairement indicatif du régime alimentaire réel de l’animal, particulièrement dans le cas des petits rorquals, qui consomment une grande variété de proies. Par contre, l’analyse des isotopes spéciaux à partir d’échantillons de peau, également obtenus avec une flèche de biopsie sur une baleine vivante, donne une indication de l’alimentation de la baleine sur une plus longue période. La nourriture consommée a une "signature" isotopique unique en son genre, qui se reflète dans les tissus de l’animal la consommant. Cette technique a été appliquée dans le monde entier pour l’étude d’autres baleines. 

Le Japon affirme également qu’il faut tuer des baleines afin d
’étudier leur sexe et leur cycle de reproduction. Et pourtant, le sexe est aisé à déterminer avec une biopsie, et une technique a aussi été récemment mise au point pour permettre aux savants de vérifier si les baleines sont enceintes.
 
Si l’on considère ces techniques modernes couramment employées par les savants baleiniers dans le reste du monde, il est manifeste que les méthodes scientifiques du Japon sont un anachronisme, et rien de plus qu’un prétexte pour tuer des baleines afin d’approvisionner le marché de la viande.
 
POLITIQUE ET NON PAS SCIENCE

 
Ceux qui ne sont toujours pas convaincus que la chasse scientifique à la baleine n’est qu’un prétexte n’ont qu’à considérer les problèmes de publication rencontrés par l’Institut de Recherche sur les Cétacés japonais. Les conclusions du chapitre intitulé "les baleines mangent notre poisson" de l’étude JARPN n’ont été acceptées à la publication par aucun journal scientifique international, et ne le seront probablement jamais, car les arguments scientifiques sont si médiocres qu’ils ne survivraient pas à un examen par des savants associés à un journal respectable. Le gouvernement japonais en est probablement conscient, et c’est pour cela qu’il refuse systématiquement de communiquer ses données sur les baleines à des experts externes à des fins d’analyse indépendante.
 
Dans l’ensemble, la recherche scientifique menée par le Japon n’est rien de plus qu’un prétexte pour maintenir sa flotte de baleiniers et blâmer les baleines pour la surexploitation des stocks de poisson par l’homme. Tant que le gouvernement japonais ne commencera pas à mener une recherche scientifique objective et à accepter les résultats des autres savants, il n’aura aucune crédibilité dans sa campagne en faveur d’une reprise de la chasse commerciale à la baleine.
 
REFERENCES

 
Clapham, P. et al. 2002. Le JARPN II et la gestion des grands cétacés, ainsi qu’une note sur les normes scientifiques. Rapport du Comité Scientifique de la CBI, Annexe Q1. Journal of Cetacean Research and Management 4, supplément : 395-396.
 
Clapham, P. et al. 2003. La chasse à la baleine et la recherche scientifique. Bioscience 53: 210-212.
 
FAO 2000. L’état des pêcheries et de l’aquaculture mondiales en 2000. Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, Rome, Italie.
 
2003 Liste rouge des espèces menacées dressée par l’IUCN. Préparée par la Commission sur la Survie des Espèces de l‘IUCN. IUCN, Gland, Suisse et Cambridge, Royaume-Uni.
 
Nemoto, T. et Kawamura, A. 1977. Caractéristiques des habitudes alimentaires et de la distribution des baleines avec référence spéciale aux populations de rorqual boréal et de rorqual de Bryde dans le Pacifique Nord. Rapports de la Commission Baleinière Internationale (édition spéciale) 1: 80-87.
 
Tillman, M. 1977. Estimations des populations de rorqual boréal dans le Pacifique Nord. Rapports de la Commission Baleinière Internationale (édition spéciale) 1: 98-106.
 
Yodzis, P. 2001. Les populations de grands prédateurs doivent-elles être contrôlées afin de sauvegarder les pêcheries? Tendances en matière d’écologie et d’évolution 15: 78-84.